Traduit du portugais (Mozambique) par Elisabeth Monteiro Rodrigues
Tombe, tombe au fond de l'eau (Mar me quer) est considéré comme le chef d'œuvre de Mia Couto (né en 1955), auteur mozambicain qui s'affirme de livre en livre comme le plus fascinant des écrivains de langue portugaise.
Au Mozambique, au bord de l'océan Indien, Zeca Perpétuo et Dona Luarmina vivent à quelques mètres l'un de l'autre. Zeca, un ancien pêcheur, n'a d'yeux que pour sa voisine mulâtre, qui passe des heures sur sa terrasse à effeuiller des fleurs invisibles.
Leurs conversations quotidiennes, tour à tour cocasses, désabusées ou poignantes empruntent souvent des voies étranges où chacun ose à peine se dévoiler. Zeca a décidé de "tuer" un passé, que l'on devine trop lourd, mais les requêtes incessantes de Luarmina, elle-même hantée par une énigmatique saudade (nostalgie), ont bientôt raison de lui. Zeca s'évertue alors à raconter ses souvenirs marqués par le sceau de la mort : son père, Agualberto Salvo Erro, est devenu aveugle et fou à la suite de la noyade de son amante disparue à jamais dans la profondeur des eaux ; puis sa mère a sombré dans la folie et sa femme meurt tragiquement dans des circonstances que le lecteur découvre peu à peu avec effroi.
Ce récit, qui interroge le temps, la mémoire et leurs empreintes sur l'homme, concentre de manière admirable les thèmes fondamentaux de l'œuvre de Mia Couto : la nature comme relation au temps, le rapport au divin par le biais des ancêtres, une confusion des cycles de la vie et de la mort, la coexistence du rationnel et de l'irrationnel avec un rôle particulier échu au rêve.
Cet univers singulier et envoûtant se déploie dans une langue qui entend revenir à "l'enfance du mot". Traduire Mia Couto est toujours une gageure. À la manière de João Guimarães Rosa, qui recrée littérairement le monde du sertão brésilien, Mia Couto réinvente une langue qui évoque les racines profondes du Mozambique. La langue portugaise est subvertie dans un savant mélange de parlers populaires et de réminiscences littéraires ponctués de néologismes, de jeux de mots, de termes vernaculaires et de mots-valises. Ces inventions ont parfois trouvé des équivalences en français, d'autres fois, elles sont rendues par de brusques changements de registre, d'infimes décalages dans les constructions idiomatiques, des ruptures de ton ou l'introduction discrète d'archaïsmes ou de vocables "créolisés".
Série Lusitane - diffusion & distribution : belles lettres