Quatre séjours à Madagascar. Des mois à suivre des marginaux, à rencontrer des sans-abri, à parcourir les taudis, à visiter des prisons, des asiles psychiatriques, des boîtes à putes et des hôpitaux frelatés. Le Madagascar des laissés pour compte, le photographe marseillais Pascal Grimaud l'a découvert bien avant le début de la crise présidentielle malgache. Ses premières images remontent à 1998. Son idée était d'évoquer cette île comme un "bateau ivre", à la dérive. Madagascar, un des pays du Sud les plus riches, embarqué dans un régime politique nourri à coups de trique et de corruption, pillé par le trafic et le népotisme. Et Antananarivo, une capitale des enfants abandonnés, des quatr'mis, des vendeurs à la sauvette, avec ses rues sombres pour ultime refuge. En France, personne ne s'intéresse à la misère qui plane sur ce pays. Jusqu' au jour du printemps 2002 où la crise malgache tourne au drame humanitaire, et où les ONG occidentales sonnent le tocsin. Après six mois de conflit politique, de grèves générales, un soulèvement populaire et un début de guerre civile - évitée grâce à l'éjection de l'ancien dictateur Didier Ratsiraka - le pays se retrouve plus exsangue que jamais. A Antananarivo, poumon économique de la Grande Ile, les licenciements et le chômage technique jettent une partie de la population dans la rue. Les pénuries alimentaires et les privations touchent quant à elles une grande partie de la classe moyenne. Depuis peu, Madagascar s'engage dans la voie d'une difficile reconstruction, promise par le nouveau président Marc Ravalomanana. Elle devra se faire avec la participation de tous les déshérités de l'ancien régime. La rue comme les trottoirs en seront, une nouvelle fois, les témoins.
Gilles Labarthe pour L'oil électrique (avril-mai 2003)
*quatr'mi : expression désignant les SDF. Ce terme vient de quatre verbes
malgaches commençant par mi (d'où quatr'mi) : mitrongy, fouiner comme un
cochon ; miloka, jouer l'argent ; misotro, boire ; mijanga, se
prostituer.
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