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Clin d’œil à Hassan El-Hassani

  • Clin d’œil à Hassan El-Hassani
Genre : Divers
Pays principal concerné : Rubrique : Cinéma/tv
Mois de Sortie : Juin 2021
Publié le : 26/12/2021
Source : www.cresus.dz/new/clin-doeil-a-hassan-el-hassani
http://www.cresus.dz/new/clin-doeil-a-hassan-el-hassani

Le seul homme qui réussit à dompter le rire

Il n'arrête pas de rire, son rire est contagieux, c'est ce que dit de lui un autre moudjahid qui, comme Bencheikh, c'est son vrai nom, n'a pas attendu 1954 pour se révolter contre l'ordre colonial, Mohand Said Mazouzi qui raconte dans ses mémoires, « J'ai vécu le pire et le meilleur », comment Hassan Bencheikh faisait rire tous les détenus, il réussissait la gageure de leur faire oublier l'angoisse de la prison, il savait ce qu'il faisait, c'est ce qu'il avait dit dans un entretien accordé à Zoubir Zemzoum après son retour des Etats Unis, à l'issue de la visite d'Etat de Chadli aux Etats Unis (avril 1985) qui avait tenu à lui rendre hommage en célébrant son soixante-dixième anniversaire à San Francisco. Il jouait des sketches en pleine prison, c'est ce qu'allait faire dans les années 1950 Mohamed Boudia, mais là, c'est un registre beaucoup plus tragique.

Ce fut le théâtre qui avait conduit le jeune Bencheikh aux tristes portes la prison, lui qui venait tout juste de découvrir l'art de la scène après une visite de Mahieddine Bachtarzi dans la région de Médéa, particulièrement à Ksar el Boukhari et à Berrouaghia. Ce fut le coup de foudre. Il décide, à partir de ce moment vécu comme un rêve, d'écrire et de monter une pièce de théâtre. Il exerçait, à l'époque, le métier, de coiffeur, ce qui l'avait incité à chercher des poux dans la tête du colonisateur dans sa pièce, « Les rêves de Hassan », un pamphlet anticolonial, il donnait à voir les injustices coloniales à travers le rêve d'un jeune qui voulait tout simplement être libre, lui titulaire du CEPE (certificat d'études primaires, élémentaires) et fils d'un instituteur de français. Les policiers veillaient au grain, les indicateurs autochtones leur facilitaient la tâche. La représentation achevée, direction la prison de Bossuet puis Barberousse.

C'est à Bossuet qu'il avait rencontré de futurs dirigeants de la révolution et surtout Mazouzi, l'un des ministres les plus intègres et les plus compétents de l'Algérie indépendante.
Quand il lui arrivait d'évoquer cette période, il ne s'empêchait pas de rire aux éclats, certains détenus ne comprenaient pas comment un coiffeur pouvait faire du théâtre ni comment le théâtre pouvait mener dans une cellule. Pour lui, c'était simple, il expliquait tout en riant qu'il savait qu'il allait gouter la bouffe infecte de la prison, il le savait en pleine représentation. Sa pièce était un véritable brûlot qui, à partir de faits concrets vécus par un coiffeur, racontait les exactions coloniales. C'était en 1943. En mai 1945, il allait aussi se retrouver, pas loin de la cellule de Mazouzi. Décidément, ces deux militants étaient faits pour vivre ensemble. Dans ses « mémoires », Mazouzi dresse un portrait dithyrambique de Hassan, discret, timide, un peu introverti, même s'il donne l'impression d'être volubile.

Connu surtout pour avoir souvent interprété le rôle d'un paysan naïf et crédule, Hassan el Hassani alias "Boubagra" (Bencheikh, son vrai nom est peu connu dans les milieux artistiques et médiatiques) qui a commencé à faire ses premiers pas dans l'art dramatique en 1943 à Berrouaghia avant d'être recruté en 1949 comme comédien professionnel à la section arabe de l'Opéra d'Alger par Bachetarzi, Errazi confirme ce choix . C'est là qu'il fait sa rencontre, Errazi était le représentant du MTLD, il monte quelques pièces de Molière dont « Le Bourgeois Gentilhomme » de Molière que Hassan el Hassani adaptera juste après, puis la reprendra après la constitution de la Troupe du Théâtre Populaire (TTP, 1967-1978).
Hassan était broyé par le théâtre. Bachtarzi, ce minsitère de la culture à lui tout seul, lui a inoculé, comme beaucoup d'autres, la passion du jeu scénique.

Il prend une décision historique, il quitte Berrouaghia, avec ses ciseaux de coupeur de cheveux et ses oripeaux de futur acteur pour s'installer à Alger, la Casbah.
Alger va lui donner la possibilité de rencontrer des militants du MTLD et surtout Mohamed Ferrah connu dans les milieux du théâtre sous le sobriquet d'Errazi, lui aussi originaire de la région de Médéa.

« Tigoul ou tigoul pas » ?

Il n'arrête pas le métier de coiffeur tout en cherchant une idée d'un personnage singulier qui pourrait faire rire tout en éduquant. C'est Molière qui lui apporte la solution. Hassan lisait beaucoup, même si ses personnages donnaient une fausse impression de l'homme et beaucoup confondent souvent personnage et personne, ce qui ne devrait pas être le cas.
Il a cherché et il a trouvé : Na'anaa, ce personnage allait marquer toutes les pièces produites à Alger, mais on a l'impression quand on suit son itinéraire que c'est la même pièce tirée du Bourgeois gentilhomme, mais en réalité, ce sont de nouvelles lectures, de nouveaux thèmes, comme chez Kateb Yacine.

D'ailleurs beaucoup de comédiens de la troupe de Hassan el Hassani passaient chez Kateb, l'Action culturelle des travailleurs (ACT) ou allaient chez Hassan. Dans « Kaid Boukelmouna », la pièce la plus accomplie de Hassan el Hassani, écrite en 1945 et reprise maintes fois sous des titres différents, avec un traitement différent « El Houria » Le complot et Ti goules ou ti goules pas. Il employait essentiellement les techniques de la farce, mais aussi le tragique.

Il ne pouvait faire autrement, militant de la cause nationale, il savait que l'Algérie vivait une tragédie. C'est aussi la même réponse de Kateb Yacine à l'homme de théâtre allemand, Bertolt Brecht, qui lui reprochait le choix de la tragédie. Kateb et Hassan el Hassani s'appréciaient énormément. Hassan savait que le théâtre ne pouvait pas faire vivre son homme, surtout qu'il avait tendance à délaisser son métier de prédilection, coiffeur, à trop fréquenter les milieux nationalistes, c'était une nécessité et à travailler aussi avec la troupe arabe de l'opéra. Il faisait, un autre point commun avec Kateb, de petits métiers pour vivre. Mais il ne perdait jamais sa bonhomie et son rire, disent de lui ses anciens amis.

Puis arrive 1954, il est là, c'est ce qu'il attendait depuis sa première pièce qui l'avait amenée en prison, « Les rêves de Hassan ». Il y rejoint naturellement le FLN. L'indépendance acquise, il tenta certaines expériences théâtrales avant de rejoindre le TNA (Théâtre National Algérien) qu'il quitta en 1968. C'est quelqu'un dont les postes importaient peu. La passion du théâtre était au-dessus de tout. Ce fut la raison qui allait le pousser à créer la première troupe privée, TTP (Troupe du théâtre populaire ou Les Quatre saisons) les textes législatifs n'existaient pas, elle était donc clandestine. Dirigée par Hassan El Hassani, dramaturge, comédien et acteur de cinéma, connu sous le sobriquet de Boubagra.

Créée en 1967, cette troupe qui a pu vivre plus d'une dizaine d'années (elle est dissoute juste après l'élection de son animateur à l'Assemblée Nationale), comprenait des comédiens extrêmement connus en Algérie : Mustapha El Anka, Warda Amel, Mustapha Nedjar, Doudja, Mahboub Stambouli…la troupe a surtout monté des pièces comiques.

Les plus connues sont sans doute : « Tu goules ou tu goules pas » (« Tu parles ou tu ne parles pas ») et une adaptation du « Bourgeois gentilhomme » de Molière. Le comique de situations, les jeux de mots et les quiproquos marquent son travail. Boubagra incarne les guignolesques réalités de l'exode rural.

Il est naïf, ce montagnard, perdu dans une capitale qui semble le broyer, le malaxer, mais il trouve toujours le moyen de s'en sortir, avec des mots et un langage singulier exprimant la singularité du personnage.

Hassan el Hassani est aussi un homme d'une grande générosité, qui sait aussi discuter des vraies questions de la société. Ce n'est pas pour rien que dès les années quarante au moment où beaucoup louvoyaient, il avait choisi la voie du militantisme et du combat anticolonial.

Dans tous les films, une trentaine (« Le vent des Aurès » de Lakhdar Hamina ; « Hassan Terro » de Lakhdar Hamina ; « L'opium et le bâton » de Ahmed Rachedi ; « Les Vacances de l'inspecteur Tahar » de Moussa Haddad ; « Les portes du silence » de Amar Laskri…) dont des longs métrages étrangers (« Z » de Costa Gavras ; Brancaleone s'en va-t-aux croisades de Mario Monicelli ; « Les Aveux les plus doux » de Édouard Molinaro ), il incarne avec un grand sens du professionnalisme des rôles différents, ce qui demande un travail de composition extraordinaire.

Il a joué notamment des personnages très différents comme le maire dans « Les aveux les plus doux », Salah Combat dans « Les portes du silence » un garde-forestier dans « L'Opium et le bâton », le père dans « Le vent des Aurès ». Il était génial, si Hassan.

Hassan rit toujours, bras amples, sautille comme toujours, continue sa route.

Ahmed Cheniki / www.cresus.dz / 10 juin 2020
www.cresus.dz/new/clin-doeil-a-hassan-el-hassani

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